Décédée le 11 décembre 2016 à l’âge de 73 ans, l’interprète macédonienne a été l’une des toutes premières à chanter en langue romani. Son héritage dépasse le cadre musical et artistique et s’étend à diverses causes humanitaires et caritatives. Petit regard rétrospectif sur celle qui fut baptisée la « Reine des Tsiganes ».
UNE LONGUE CARRIÈRE
Esma Redzepova est née en 1943 à Sutka, le faubourg rom de Skopje, en Macédoine (ex-Yougoslavie). Elle se révèle dès son adolescence dans un télé-crochet. Une gageure pour une fille Rom, a fortiori non mariée. Pourtant, sa carrière se poursuivra sur six décennies…
Esma, c’est un répertoire de 800 chansons et quelque 12.000 concerts. Sa musique mêle des airs et des instruments traditionnels roms ou macédoniens et des arrangements plus modernes, pop notamment. Parce qu’elle s’est produite à travers les continents (en Europe, en Inde, en Australie, aux États-Unis), représentant par ailleurs son pays au concours de l’Eurovision en 2013, la chanteuse a su agrandir son public bien au-delà de la communauté Rom et de la Macédoine.
Dotée d’une voix puissante et d’un sens aiguisé de la théâtralité, procurant un frisson indescriptible, Esma chante l’amour, le chagrin, aborde la thématique des relations maritales. Caje Sukarije, un de ses plus grands morceaux, raconte l’histoire d’une jeune fille qui danse sans se soucier du garçon qui la regarde langoureusement.
Esma Redzepova chante en macédonien, parfois en hébreu, en hindi, en grec, en turc ou en serbo-croate. Surtout, elle chante en romani, la langue du peuple Rom. Dans l’histoire, elle restera la première à avoir chanté dans cette langue à la radio. Jusqu’alors, les artistes roms ne s’y risquaient guère et cachaient leurs origines.
C’est en 1976, à Chandigarh (Inde), qu’elle se voit attribuer le titre de « Reine des Tsiganes », à l’occasion d’un festival mondial de musique rom. Jusqu’à la fin de sa carrière, Esma s’est évertuée à jouer avec les stéréotypes liés aux femmes roms, à faire un usage mesuré des clichés pour mieux les déconstruire. L’esthétique orientale de ses concerts, caractérisée notamment par le port de tenues typiques (turbans, robes colorées, bijoux scintillants), avait vocation à plaire aux publics non-roms.
ESMA, AMBASSADRICE DE LA MACÉDOINE ET DE LA CAUSE ROM
Car Esma, plus qu’une interprète, est une véritable ambassadrice. Décédée des suites d’une longue maladie (une pneumonie, selon l’un de ses proches), elle était connue et reconnue pour ses combats. Mariée au compositeur Stevo Teodosievsi, elle a du affronter les préjugés liés à ce mariage en dehors de la communauté rom et militer pour l’émancipation des femmes roms.
Plus largement, Esma Redzepova embrasse des causes qui dépassent les frontières de la communauté Rom. Elle donne ainsi de nombreux concerts caritatifs pour différentes causes (désastres naturels, orphelinats, hôpitaux). Elle prône également de meilleures relations interculturelles.
Son principal « fait d’armes » : l’adoption, aux côtés de son mari (qui fut aussi son manager), de 47 enfants défavorisés – surtout des Roms – et la fondation, en 1968, d’une école musicale pour les accueillir.
Je suis comme la mère de tous ces gens, la première à avoir chanté l’hymne romani. Cinquante-cinq ans que je chante. Je supplie l’Europe d’aider mon peuple. J’ai élevé 47 enfants, 123 petits enfants. Permettez au peuple Rom de vivre où il veut. La Terre appartient aux Roms comme aux autres. Nous n’avons déclenché aucune guerre, nous sommes un peuple noble.
Esma Redzepova,
Sommet européen de Bruxelles,
le 4 avril 2014
Esma, c’est enfin un engagement (en) politique : élue (en 2009) puis réélue (en 2013) conseillère municipale de Skopje, elle a activement participé à la vie politique de la capitale macédonienne. Avec elle, ou grâce à elle, « la Macédoine est devenu le seul pays où les Roms sont reconnus. On a deux télés privées rom, un maire rom, deux députés au Parlement », conclut la Reine des Tsiganes.
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